Archives du Cantal

La gestion des ressources humaines à l’abbaye de Maurs au XIVe siècle

C’est la crise économique à Maurs : les temps sont durs, les pauvres se multiplient, il faut réagir afin de ne pas faire faillite… une réorganisation des effectifs et du recrutement s’impose.

Quoique ce constat nous rappelle vaguement le contexte actuel, le document que vous avez sous les yeux n’est pas le plan social d’une entreprise cantalienne du XXIe siècle, mais un accord passé entre l’abbé et les moines de l’abbaye bénédictine de Maurs, le 30 décembre … 1323.

Réunis en chapitre, comme tous les matins, les moines discutent des affaires de leur abbaye. Il leur arrive d’être en désaccord, comme lorsqu’il fallut désigner un successeur au défunt abbé Bernard II en 1313. Ce sera finalement le pape Jean XXII qui mettra un terme aux tensions en nommant un moine originaire de l’actuelle Dordogne, Adhémar II, en 1318. Cependant, en ce jour d’hiver, les moines et leur abbé partagent un sentiment uniforme : l’abbaye va à sa perte.

Il ne s’agit pourtant pas d’une mauvaise gestion, de détournement de fonds ou de quelque sordide scandale, mais simplement d’un déséquilibre entre les dépenses « obligatoires » de l’abbaye et ses revenus. Le monastère est en effet soumis, comme tous les établissements religieux, au paiement des décimes, un impôt royal perçu sur les revenus du clergé. A cela s’ajoute l’hospitalité due aux voyageurs, pèlerins et hôtes de marque (l’acte mentionne des « légats » sans que l’on puisse lire, en raison des lacunes, qui les envoie. Sont-ce les légats de l’Ordre bénédictin ? du Pape ? Si l’on se rappelle la querelle au sujet de la nomination de l’abbé, il n’est pas impossible que Jean XXII ait envoyé l’un de ses légats à Maurs quelques années auparavant). Mais surtout, les dépenses les plus lourdes sont à attribuer à l’elemosina, l’aumône que fait quotidiennement l’abbaye aux pauvres de Maurs et de ses environs. Combien sont-ils à faire la queue tous les matins pour un morceau de pain ? Six cents, nous dit l’acte. Il est difficile de savoir si ce chiffre se rapproche de la vérité ou si, dans un élan d’emphase, l’on cherche à attirer la bienveillance de l’évêque. Il faut souligner que cette décision est prise en plein hiver, mais que la guerre de Cent Ans et l’épidémie de Peste noire n’ont pas encore éclaté.

Toujours est-il que ces dépenses laissent peu de marge à l’abbé pour entretenir les moines. L’abbaye n’est pas encore en faillite puisqu’elle a de nombreuses possessions, dans le Cantal et le Lot notamment. Ces possessions lui apportent quelques revenus et peuvent être vendues en cas de besoin. Mais aliéner le patrimoine de l’abbaye ne peut être une solution durable, de même que contracter des dettes, soulignent les moines. Il faut donc faire attention et limiter les dépenses des religieux, et en particulier leur nombre.

Rassurez-vous, aucun moine n’a été mis à la porte. L’accord passé entre l’abbé et les religieux stipule simplement que, alors que jusqu’ici l’admission d’un nouveau moine était décidée par le chapitre sans que la question des dépenses soit évoquée, les demandes d’admission seront désormais étudiées uniquement si le nombre de moines est inférieur à quinze, et de sorte que ce nombre ne soit jamais dépassé. Il s’agit en réalité d’un effectif raisonnable par rapport à la taille de l’abbaye, qui en héberge déjà quatorze outre l’abbé si l’on en croit la liste des présents au chapitre en début d’acte.

Cet accord est confirmé par l’ensemble du chapitre à l’exception du prieur claustral, l’ « adjoint » de l’abbé en quelque sorte, qui n’explicite pas les raisons de son opposition. L’acte n’arbore pas les sceaux des parties, mais deux signes de validation de personnes extérieures. Le premier est le seing du notaire devant lequel cet acte a été passé, autrement dit sa signature, qui se présente sous la forme d’un dessin élaboré, difficile à imiter. La seconde marque de validation est le sceau, aujourd’hui disparu, du juge représentant l’évêque à la cour de Maurs et de Montsalvy. Ces deux signes font de ce document un acte officiel.

De manière générale, le XIVe siècle est une période peu faste, grevée par les fléaux de toutes sortes. Cependant, même après cet épisode difficile, les moines de Maurs ne reviendront pas sur cette limite d’effectifs. Au XVIIe ou début du XVIIIesiècle, ils ne seront plus que 12, puis 10 en 1749, et 6 en 1768, ce qui conduira à la suppression du monastère en 1785.

3 H 1

Partager sur