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Réseau routier et désenclavement du Cantal : une longue histoire…

Réseau routier et désenclavement du Cantal : une longue histoire… 

On a coutume de rappeler les difficultés de circulation dans le Cantal, Aurillac étant souvent qualifiée de ville-préfecture la plus enclavée de France. En effet, « l’examen des conditions de déplacement vers et depuis le Cantal montre que les liaisons terrestres entre les principales agglomérations, hormis Saint-Flour, et les pôles régionaux les plus proches, sont peu rapides et malaisées, voire difficiles, avant tout en raison de leur situation géographique[1] ». Si le milieu n’est jamais écrasant et reste à l’échelle humaine, les contraintes qu’il exerce sur les communications sont pourtant bien réelles. Le Cantal est un département montagneux avec une altitude moyenne de 800 mètres, mais c’est surtout sa topographie qui pose problème. Il s’agit d’un immense massif circulaire de 60 km de diamètre, le plus grand stratovolcan d’Europe, se présentant sous la forme d’un cône très aplati, creusé de larges et profondes vallées qui s’organisent en étoile autour de son centre géographique, le Puy Mary. La traversée du département, dans le sens est-ouest ou nord-sud, n’est donc jamais aisée. D’autant qu’il ne faut pas oublier un second handicap lié à cette géographie qui est celui du climat. Pourtant, on observe à travers ce document que l’enclavement routier du Cantal est loin d’être une préoccupation nouvelle.

Il s’agit d’un mémoire adressé par « les habitants du Pays des Montagnes d’Auvergne » à « Monseigneur, le directeur général des finances ». Il n’est pas daté mais fait référence à un arrêt du Conseil du Roi en date de mars 1779, aussi on peut en déduire qu’il a été rédigé au cours des années 1780, certainement à l’intention de Jacques Necker. Ce dernier étant étranger (Suisse, né à Genève) et protestant, il ne pouvait recevoir le titre de contrôleur général, même s'il dirigea de facto l'administration des finances entre 1776 et 1781 et 1788 et 1790. Flanqué de contrôleurs généraux fantoches, il reçut le titre de « directeur général du Trésor royal » puis de « directeur général des finances ». Les habitants de Haute-Auvergne lui font savoir que « privés de communications et de rivières navigables, les productions du païs ne peuvent s’exporter qu’avec beaucoup de frais et de difficultés » et de même « dans ces dizettes générales, que l’inconstance du climat rend si fréquentes, la difficulté, souvent même l’impossibilité de l’importation des grains, les rend d’une cherté excessive », « de là, la dépopulation, l’abandon de l’agriculture, et le découragement général ; tel est le tableau ordinaire des habitants de la haute-Auvergne. Le moyen de tirer ce pays de l’état d’engourdissement, et de pauvreté, où il gémit, est de favoriser l’importation des grains, l’exportation des productions du pays, d’accroitre l’industrie et le commerce, or, en lui donnant des routes, on lui procure ces différents avantages ».

Carte de la généralité d'Auvergne (1786)
Carte de la généralité d'Auvergne (1786)

Les auteurs du mémoire se plaignent de n’avoir « qu’une route d’Aurillac à Clermont […] impraticable aux voitures ». En réalité, il existe alors au moins deux routes Aurillac-Clermont : par Mauriac, la plus longue mais praticable toute l’année, ou par le Lioran, la plus fréquentée mais souvent impraticable l’hiver. Le tunnel du Lioran n’a pas encore été percé et la route franchit le col de Cère à près de 1300 mètres d’altitude. De plus, au XVIIIe siècle, les échanges commerciaux de la Haute-Auvergne se font plutôt avec les provinces voisines comme le Limousin, le Quercy ou le Rouergue ou plus éloignées comme le Berry, le Poitou et le Languedoc qu’avec la région de Clermont. Et si « depuis bien des années on a tracé une route d’Aurillac à Limoges […] elle n’a été faitte que jusques aux limites d’Auvergne. Celle qui a été tracée d’Aurillac à Montpellier il y a dix ans, a éprouvé le même sort que la précédente, ébauchée jusqu’aux limites du Rouergue, elle n’a point été continuée […] Enfin les routes ont été décidées, mais les moyens de les exécuter manquent ». Les pétitionnaires regrettent le mauvais emploi des taxes dévolues à l’entretien et à la construction des routes et mettent surtout en avant leur mauvaise administration.

Le système repose sur la corvée royale introduite par l'instruction du 13 juin 1738. En cette fin de siècle, « on commence les corvées en Auvergne deux fois par an, au printemps, et en automne, les paroisses destinées à l’entretien des routes, sont taxées à trois journées pour chaque saison, celles qui sont employées aux constructions des routes neuves le sont à six ». Pour les auteurs du mémoire, si « cette taxe bien remplie devait suffire à la perfection des routes, l’expérience nous a convaincu du contraire ». Ils dénoncent le trop grand nombre de privilégiés et d’exemptés parmi les potentiels corvéables. C’est pour eux la principale cause de dysfonctionnement des corvées : la « répartition arbitraire et injuste » fait reposer l’effort « sur la partie du peuple la plus pauvre, la plus laborieuse et la plus nécessaire à l’agriculture ». Ce qui provoque le découragement et parfois la désobéissance de nombreux corvéables. Ces derniers « ne cherchent qu’à écouler le nombre des journées auxquelles ils sont taxés, et ne font rien pour l’avancement des routes ». Si ce système devait perdurer, ils souhaitent la création d’une administration dédiée à la gestion des corvées et des travaux mis en œuvre. Ils considèrent, toutefois, qu’il serait préférable de libérer les paysans de ces corvées, les rendant ainsi aux travaux agricoles, « en faisant faire les routes par l’entreprise ».

Les cantaliens du XVIIIe siècle, comme nos contemporains, avaient à subir les désagréments de l’enclavement géographique et fondaient beaucoup d’espoirs sur le développement du réseau routier. Avec ce mémoire, ils en appellent à la bienveillance et à la solidarité des décideurs « serions-nous les seuls qui n’eussions pas droit à votre bienfaisance et aux bontés d’un Prince également jaloux du bonheur de tous ses sujets ». Cependant, près de deux siècles et demi plus tard les problématiques restent les mêmes. Le désenclavement repose d’abord sur le développement d’infrastructures routières. Et comme leurs prédécesseurs, les élus locaux portent régulièrement la question du désenclavement du Cantal comme enjeu de solidarité nationale.

Cotes ADC : 366 F 19 et 28 J 1/3

Document rédigé par Nicolas Laparra

[1]« Désenclavement du Cantal. Les besoins du département du Cantal en matière de transport », rapport n° 008289-01 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, juin 2013.

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