Archives du Cantal

« Ceci est le livre appelé Livre du Veau… » : exemple d’une reliure insolite de l’époque moderne

« Ceci est le livre appelé Livre du Veau… » :

exemple d’une reliure insolite de l’époque moderne

Dans la religion catholique, le mois de novembre est une période de célébration des défunts. Le 1er novembre, jour de la Toussaint, est comme son nom l’indique, la fête de tous les saints. Elle est suivie, le 2 novembre, par « le jour des morts », jour de prières pour l’ensemble des défunts. Le document présenté par les Archives en ce mois de novembre concorde en tout point avec ce contexte, puisqu’il s’agit d’un registre où sont consignées les rentes et fondations d’obits du chapitre Notre-Dame de Saint-Flour entre 1399 et 1513.

Du latin « obire », mourir, les « obits » sont des messes demandées par des individus au moment de leur décès, afin que l’on prie pour le salut de leur âme. Ces personnes léguaient une somme à une communauté de prêtres qui se chargeait alors de célébrer ces messes : les deniers ainsi récoltés, ainsi que les autres donations et rentes, formaient une partie des revenus de la communauté.

Le chapitre Notre-Dame succéda en 1323 au collège de 40 prêtres, dont les textes révèlent l'existence à Saint-Flour dès le XIIIe siècle. A leur demande l'évêque Archambaud, troisième évêque sanflorain, les autorisa à se constituer en chapitre, c’est-à-dire en assemblée de chanoines. Ici, les chanoines au nombre de 21, puis plus tard de 18, seraient assistés de 20 choriers, prêtres du bas-chœur. Les chanoines sont les clercs qui desservent les églises cathédrales ou collégiales. Archambaud leur permit ainsi de construire dans la cité une nouvelle église sous le vocable de Notre-Dame. Commencée en 1324, elle ne fut terminée, par suite des guerres anglaises, qu'en 1405. Elle est aujourd'hui désaffectée et porte le nom de Halle aux bleds. Les chanoines forment l’élite du clergé séculier. Leur fonction première est d’assurer le chant quotidien de l’office divin mais ils ont aussi bien d’autres missions comme la prédication, l’assistance aux pauvres ou l’éducation des enfants. Pour ce faire, ils se regroupent en communauté et gèrent un patrimoine commun dont les fondations d’obits sont une source importante.

Ce registre est à la fois précieux, par sa rareté et son ancienneté, et à la fois surprenant, par son appellation. Comme le mentionne à plusieurs reprises sa page de garde, il a traversé les siècles, affublé d’un curieux surnom : « Libro Vitulo », c’est-à-dire « livre du veau ». Pourquoi une telle appellation pour un recueil si sérieux ?

L’explication serait à trouver dans les matériaux ayant servi à composer le registre : en premier lieu en raison de ses pages, faites de vélin. Le vélin, au sens strict du terme, est un parchemin confectionné avec de la peau de veau mort-né ou de la peau de très jeune veau. Par extension, on appelle vélin un parchemin souple, blanc et fin, de grande qualité, fabriqué avec de la peau de veau, d’agneau ou de chevreau. Plus rare et plus coûteux, il était réservé aux manuscrits de luxe, preuve de la valeur de ce registre pour les chanoines de Notre-Dame. Il s’agit bien ici de peau de veau, car l’originalité de cet ouvrage se cache en réalité dans sa couverture : sous les parchemins de réemploi servant à renforcer la couvrure, se trouve préservée une partie conséquente de la robe d’un de ces veaux, les poils ayant mal été grattés lors du traitement du cuir.

Reste de poils mal grattés
Reste de poils mal grattés

La fabrication d’un parchemin est un processus long et comprenant plusieurs étapes. La peau de l’animal – il peut s’agir de vache, mouton, chèvre, agneau, veau… en fonction des élevages pratiqués localement – est d’abord débarrassée par le tanneur, des poils et des chairs restants. Elle subit ensuite plusieurs bains, à l’eau vive d’une rivière puis dans la chaux, avant d’être tendue sur un cadre vertical, dégraissée puis poncée. Durant cette étape, et sous l’effet combiné du raclement et de l’application de poudre de craie, la peau se blanchit, s’opacifie et prend une souplesse particulière qui la distingue d’autres peaux traitées – telles que les cuirs tannés ou les peaux mégissées[1]. Devenu prêt à l’emploi, le parchemin garde quelques traces de sa nature première : il présente ainsi sur une face un côté « chair » - lisse et brillant – et de l’autre un côté « fleur » - plus rugueux, correspondant aux follicules laissés par les poils.

Bien souvent, l’observation à l'œil nu des parchemins permet difficilement de reconnaître l'animal dont la peau a été utilisée. Dans le cas de ce registre, les résidus de poils, associés à l’appellation « Libro Vitulo » ne laissent aucun doute sur l’origine de la peau.

Cote ADC : 3 G 12.

[1] Pour en savoir plus : https://www.univ-montp3.fr/uoh/lelivre/partie1/prparation_du_parchemin.html

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